Biodiversité - Un nouvel élément pour l'urbanisme
September 2018
Biodiversity
À l’initiative d’une agence d’architecture, d’un écologue et d’un sociologue, une enquête a été réalisée en 2018 sur la perception de la biodiversité au sein de la population française. Plusieurs enseignements peuvent en être tirés. Tout d’abord, l’opposition marquée ville-nature s’est effacée. La popularité de biodiversité en général et en ville en particulier n’est pas démentie. Les espaces dans lesquels la biodiversité trouverait sa place sont plus divers et de plus en plus proches des habitants, même si les représentations encore traditionnelles attachées à tel ou tel animal expliquent les variations d’acceptabilité. Bien que la biodiversité soit toujours perçue comme une affaire de spécialistes, les concepteurs et aménageurs ont aussi un rôle à jouer tant l’organisation écologique de l’urbanisme que dans la sensibilisation du public à des nouvelles formes de cohabitations avec la nature.
1. INTRODUCTION
« Changement climatique, déclin de la biodiversité, pollution de l’eau et de l’air, artificialisation de l’espace, usure des sols : tous les clignotants sont au rouge » [17]. Si de tels constats inquiétaient principalement, il y a quelques décennies, des cercles déjà sensibles à ces problèmes, constitués de scientifiques [10] ou d’écologistes engagés, force est de constater qu’ils touchent désormais tout le monde, comme l’actualité quotidienne le rappelle tristement [9]. Les membres de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques [11], réunis à Paris, ont rendu public le 6 mai 2019 le résultat des recherches et analyses menées depuis 2005 sur l’état de la biodiversité. Entre autres, les auteurs de ce rapport indiquent que 75 % du milieu terrestre est fortement dégradé par les activités humaines et qu’un grand nombre d’espèces sont menacées de disparition. Cette mise en garde s’ajoute à d’autres plus anciennes.
En 1972, parut le rapport The Limits to Growth, rédigé pour le compte du Club de Rome. Il s’interrogeait d’abord sur le caractère pérenne de notre modèle de croissance [16]. S’il notait les atteintes nombreuses portées à notre environnement, il n’identifiait pas directement les menaces portant sur la diversité biologique. Celle-ci devait recevoir une première forme de protection grâce à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, signée le 3 mars 1973, à Washington. Si une telle convention pouvait marquer les esprits et doter les gouvernements d’instruments juridiques pour protéger les espèces en voie de disparition, elle ne pouvait en aucun cas freiner les principaux moteurs du recul de la biodiversité que sont nos modes de production alimentaire, nos villes et nos habitudes en matière de mobilité.
C’est à une autre convention, élaborée dans le cadre du Sommet de la Terre en 1992, que nous devons d’avoir popularisé cette notion de diversité biologique en en donnant une définition précise : « Variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes ».
Par ailleurs, cette convention indique que ses objectifs « sont la conservation de la diversité biologique, l’utilisation durable de ses éléments et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques (…) ».
La ville prend rapidement une superficie territoriale conséquente et impacte d’autant plus les fonctionnements naturels. Selon l’Organisation des Nations unies, depuis 2008, la moitié de la population de notre planète vit dans des villes [18]. En France métropolitaine, les zones urbaines dépassent maintenant les 20% du territoire [INSEE, 2011].
L’urbanisation ne peut plus être exclue des réflexions sur l’aménagement des territoires et la préservation des écosystèmes.
Bien qu’une grande partie de ces évolutions se fassent en dehors de toute planification et que, pour les territoires qui en font l’objet, les urbanistes architectes ou paysagistes ne restent qu’un acteur parmi de nombreux autres, il n’en demeure pas moins que leurs choix ont un impact sur la gestion des écosystèmes présents.
Un écosystème est un « complexe dynamique formé de communautés de plantes, d’animaux et de micro-organismes et de leur environnement non vivant qui, par leurs interactions, forment une unité fonctionnelle » [4].
Cette définition ramène l’architecte devant ses responsabilités environnementales, car il a la capacité d’élaborer un cadre dans lequel les interactions entre minéral et vivant seront plus ou moins favorables.
Si l’architecte est capable, à la suite de sa prise de conscience, de faire évoluer sa pratique notamment dans les zones urbaines, il n’améliorera rien seul. Il n’est qu’un acteur de la construction, il doit d’abord comprendre ce que la protection de la biodiversité, voire sa restauration, implique sur le plan matériel et ce sur quoi il a latitude pour agir. Cette compréhension suppose de dialoguer de manière répétée avec ceux, comme les écologues, qui connaissent le monde du vivant mieux que lui. Pourtant, un tel échange ne peut suffire. Le contexte d’appréciation et d’acceptabilité par les citadins est primordiale à un changement de pratique. Mais les notions de biodiversité, d’écosystème ou d’écologie sont-elles réellement connues du grand public ?
En interrogeant les futurs occupants de ses réalisations sur leurs représentations de ce qu’est la « nature », en ville, le concepteur a la possibilité de mieux connaître tout l’imaginaire qui lui est associé. Pour cette tâche, la formation d’équipes pluridisciplinaires associant aussi des chercheurs en sciences humaines et sociales est donc fondamentale. D’où notre idée conjointe à une agence d’architecture, un écologue et un sociologue de construire ensemble un questionnaire sur la biodiversité en ville et de demander à l’institut de sondage Opinion Way de réaliser une enquête d’opinion à partir de celui-ci. L’objectif de ce travail a été de cartographier les attentes des personnes interrogées sur la place que devrait occuper la nature en ville (acceptation de la biodiversité par les populations urbaines et hiérarchie perçue des services rendus par celle-ci) et de déterminer jusqu’à quelle proximité du citadin les espèces animales et végétales peuvent être présentes.
2. MÉTHODES DE L'ENQUÊTE
Nous avons construit un questionnaire organisé en sept rubriques au sein desquelles sont rassemblées les questions (voir annexe).
+ la représentation du lien entre la ville et la nature
+ l’opinion sur la biodiversité en ville
+ les espaces où l’on souhaite qu’il y ait de la biodiversité
+ la distance minimale souhaitée de certains animaux et végétaux par
rapport aux logements
+ les lieux où les habitants en ville sont prêts à accueillir plus de végétation
+ l’opinion sur le renforcement de la biodiversité en ville
+ la survenue de problèmes avec la biodiversité en ville
L’institut Opinion Way a interrogé 1 452 personnes qui étaient représentatives de la population française, âgée de 18 ans et plus. L’échantillon a été constitué selon la méthode des quotas, sur la base du sexe, de l’âge, de la catégorie socioprofessionnelle, du type d’agglomération de résidence et de la région habitée. Les personnes résidant dans des communes de 20 000 habitants et plus ont été surreprésentées, afin de disposer d’un échantillon de 942 urbains. L’échantillon a été interrogé (norme ISO 20252) grâce un questionnaire auto-administré en ligne sur système dit « CAWI » (Computer Assisted Web Interview) avec dédommagement possible.
Les interviews ont toutes été réalisées entre le 30 mai et le 7 juin 2018. Nous ne reprendrons pas ici toutes les données obtenues ; nous présenterons seulement quelques grandes lignes de résultats et les pourcentages associés.
Nous renvoyons le lecteur à l’annexe pour une synthèse des données.
L’ensemble des résultats est consultable sur le site Internet d’Opinion Way.
3. QUELLE REPRÉSENTATION DU LIEN "VILLE / NATURE" ?
Les relations entre l’urbain et la nature sont marquées par des liens paradoxaux [14]. Mais l’existence d’une opposition entre ville et nature souvent postulée, n’est pas reconnue ici par les personnes interrogées : seuls 19 % d’entre elles distinguent clairement ces deux entités. Cette proportion peut s’étendre au tiers des personnes interrogées, si on y agrège les personnes considérant que la nature et la ville sont deux entités qui se côtoient mais ne se mélangent pas. En complément, pour 66 % des personnes interrogées, il y a des liens entre ville et nature. Elles sont même 32 % à estimer qu’il existe des espaces de nature en ville.
L’opposition habituelle apparaît donc infondée. Pour autant les résultats recueillis traduisent une conception de la nature qui se distingue de ce que ce mot désigne en écologie fonctionnelle : en effet, seuls 13 % des personnes interrogées, et bien que ce score ne soit pas négligeable, estiment que la ville est un écosystème particulier contenu dans la nature. La nature apparaît donc à la fois comme une entité propre, distincte de la ville, sans y être opposée. La nature semble pouvoir être désignée par des espaces aux propriétés particulières, probablement riches en végétation et dont le caractère artificiel n’est peu ou pas perçu.
4. QUELLE OPINION SUR LA BIODIVERSITÉ EN VILLE
Les répondants sont amenés à indiquer leur accord ou désaccord avec certaines affirmations préalablement choisies. Cette deuxième rubrique permet d’affiner les préférences et de mieux cerner les représentations de la population.
88 % des personnes interrogées souhaitent de nouveaux aménagements pour avoir plus de biodiversité en ville. Cette proportion est en accord avec les travaux sur l’importance des services positifs rendus à l’Homme par la biodiversité dans un contexte urbain. Si cette grille d’interprétation est retenue, la visibilité des effets négatifs associés à la diversité biologique [12] est faible et limitée à 10 % de l’échantillon interrogé. Cet intérêt pour la biodiversité est conforté par le fait que, sur les 10 % des personnes déclarant avoir déjà eu un problème avec la biodiversité, 28 % décrivent ce problème comme étant lié au manque ou à la destruction de la biodiversité en ville (voir point 7) !
Cette proportion est aussi à mettre en perspective avec les enquêtes menées depuis les années 2010 concernant la demande de nature en ville [2] [3]. La part de personnes qui souhaitent plus de biodiversité en ville est cependant légèrement en-deçà des proportions habituellement rapportées concernant la demande de nature en ville.
Trois raisons peuvent expliquer ce décalage. Si les personnes interrogées font une différence entre nature et biodiversité, elles considèrent que les espaces verts et la nature en ville contiennent de la biodiversité mais que les espaces verts possèdent une valeur plus grande que la seule biodiversité urbaine.
Si les personnes ne font pas de différence claire entre ces deux notions, ce décalage peut être dû à la formulation de la question qui évoque la création de nouveaux aménagements. L’accueil de plus de biodiversité en ville serait freiné par la peur du changement liée à la nécessité de modifier un tissu existant [3]. Plus probablement, cet écart s’explique par le coût induit par l’accueil de la biodiversité tel qu’il est identifié par 61 % des répondants.
Sur la base des six motivations proposées, (« renforcer… » - voir Annexe), les choix exprimés par les personnes interviewées soulignent le caractère composite des raisons de renforcer la diversité biologique en milieu urbain. Il semble que l’approche utilitariste de la conservation de la biodiversité soit une des motivations les plus fortes (82 %). Ce résultat semble valider une approche de la conservation de la biodiversité fondée sur une évaluation quantitative – et qualitative – des services rendus par les écosystèmes. Cependant, cet utilitarisme n’est pas exclusif, puisque l’éthique recueille le même taux d’adhésion (82 %).
Parmi les choix possibles, la forte variété des affirmations retenues et la hiérarchisation de celles-ci tranchent avec les discours habituels. Ainsi, pour 89 % des personnes interrogées, renforcer la biodiversité en ville est d’abord une question de santé, puis une question éthique (82 %).
Le lien social (75 %) et la question esthétique (66%), qui souvent mobilisés par les chercheurs ou les politiques, sont jugés moins importants. En effet, le lien social est souvent convoqué comme argument pour la promotion des espaces verts ou de la participation habitante à la gestion des espaces urbain végétalisés. De même, l’esthétique ou la dimension paysagère de ces espaces verts sont soulignées par nombres d’élus, de professionnels du paysage ou de l’horticulture. Enfin, la question alimentaire ne motive que 57 % des personnes interrogées, témoignant sans doute d’une distinction assez nette entre agriculture urbaine et biodiversité ou entre agriculture urbaine et alimentation.
Plus que la valeur absolue de ces taux d’adhésion aux motivations proposées, ce qui marque est l’ordre des préférences qui bouleverse un peu les discours convenus et la prégnance des projets consacrés ou argumentés autour de ces thématiques, de plus en plus souvent liées, que sont la nature en ville, la biodiversité urbaine et l’agriculture urbaine.
Pour la moitié des personnes interrogées (50 %) la biodiversité est l’affaire des spécialistes. Cela signifie probablement que, si le mot est connu, la clarté des comportements à tenir face à la biodiversité n’est pas acquise. Si le mot est peu ou mal compris [7], comme c’est probablement le cas, les personnes interrogées pourraient demander à être mieux informées sur ce sujet. Pour autant, les trois quarts des personnes interrogées (76 %) estiment pouvoir participer à la protection de la biodiversité urbaine. Ce chiffre tombe à 58 % lorsque l’on considère la participation effective à la protection de la biodiversité urbaine. Cette différence de 18 % peut sans doute s’expliquer par la difficulté à transformer une intention en action.
cas, les personnes interrogées pourraient demander à être mieux informées sur ce sujet. Pour autant, les trois quarts des personnes interrogées (76 %) estiment pouvoir participer à la protection de la biodiversité urbaine. Ce chiffre tombe à 58 % lorsque l’on considère la participation effective à la protection de la biodiversité urbaine. Cette différence de 18 % peut sans doute s’expliquer par la difficulté à transformer une intention en action.
Le troisième moment de ce questionnaire consiste, sur la base d’une infographie, à demander aux interviewés d’indiquer directement où installer, ou laisser s’installer, la nature. Il est à noter que le choix est restreint. La liste proposée ne pouvait pas faire l’objet de modifications de la part des participants à l’enquête. Un des items, le mobilier urbain, s’apparente à un test car c’est un lieu auquel personne ne penserait a priori. Aussi est-il possible de cerner la place de l’inattendu dans la dispersion et l’accueil de la biodiversité en ville.
Pour 54 % des personnes interrogées, la biodiversité ne se trouve que dans les espaces verts. La faiblesse relative de ce taux de réponse peut être mise en perspective avec la dispersion des espaces dans lesquels les personnes interrogées souhaitent qu’il y ait de la biodiversité. Ainsi, si les jardins publics recueillent les deux tiers des souhaits (66 %), 8 des 9 autres lieux recueillent plus de 50 % des suffrages : ruchers et toitures d’immeuble (59 %) ; jardins partagés (57 %) ; pieds d’arbre (53 %) ; balcons (52 %) ; jardins privés (52 %) ; haies ou clôtures (51 %) ; fermes urbaines (50 %). Seuls les mobiliers urbains convainquent moins de la moitié des personnes interrogées (40 %).
La différence entre jardin privé et jardin public peut être interprétée à l’aune du caractère commun, collectif ou public, souvent attribué à la biodiversité. Celle-ci ne peut être appropriée : elle n’est donc pas ou peu associée à une éventuelle prise de responsabilité individuelle pour sa gestion. Cette interprétation est renforcée par le fait que les premiers lieux cités sont tous des lieux collectifs ou publics.
Seul le mobilier urbain, également lieu public, est déclassé : sans doute est-il trop directement associé au caractère artificiel et fonctionnel de la ville. Pourtant, et malgré une distinction apparente entre espaces privés et publics, les personnes interrogées sont à 88 % favorables à plus de biodiversité en ville.
6. DISTANCE MINIMALE SOUHAITÉE ENTRE ANIMAUX & LOGEMENTS
Pour questionner la proximité physique souhaitée d’avec la nature, nous avons sélectionné des représentations d’espèces différentes à la fois par leur taille, leur « utilité », ou leur familiarité : huit animaux (le moineau, le pigeon, le renard, la guêpe, l’abeille, la fourmi, le papillon) et trois types de végétaux (l’herbe, la fleur, l’arbre). Avec une question de ce type et en fonction des types choisis, il est plus aisé de réaliser une carte mentale de ce qui est considéré comme agréable ou désagréable. Ainsi est-il possible de déterminer plus finement le rejet de telle ou telle composante naturelle.
L’intérêt pour la biodiversité urbaine n’est, pour les personnes interrogées, pas pour autant dirigée vers toutes les composantes de cette biodiversité. Les représentations et appréciations des différentes espèces dépendent des espaces où elles sont susceptibles d’être perçues [15]. Elles dépendent également du point de vue de l’observateur, comme l’illustre cet échange entre Robert Barbault et Claude Combes : « Pour toi, c’est un pigeon ; pour moi, c’est d’abord une communauté de parasites ! » [1].
À chaque espèce, un espace ou un type d’espace est, symboliquement, attribué. La biodiversité urbaine souhaitée diffère de la biodiversité acceptée et renvoyée plus loin, à la campagne. Sur les onze composantes proposées, animaux et végétaux ne sont pas distribués de la même manière.
Pour les animaux, les renards sont confinés à la campagne pour 73 % des personnes interrogées, quand seulement 11 % d’entre elles les accepteraient dans leur espace domestique. Les oiseaux sont mieux acceptés en ville : le moineau peut être un animal des villes pour 89 % des personnes interrogées. Cet oiseau est toléré au sein même de l’espace domestique, dans le jardin ou la cour, voire chez soi, pour 54 % des répondants. Si les répondants savaient que la population de moineaux à Paris s’était réduite entre 2003 et 2016 de 73 % [13], peut-être cette espèce serait-elle encore plus valorisée. Plus remarquable, 68 % des personnes interrogées acceptent la présence du pigeon en ville, mais seuls 24 % l’inviteraient dans leur espace domestique. Ceci s’explique peut-être par le fait qu’il est un vecteur potentiel de certaines maladies et symbole de souillures [6].
Concernant les insectes, les guêpes sont des animaux qui trouvent leur place uniquement à la campagne pour 41 % des personnes interrogées, tandis que pour 23 % d’entre elles ces insectes sont acceptés dans les jardins. Les fourmis peuvent être urbaines pour 72 % des répondants. Elles sont acceptables dans un espace domestique (le jardin, la cour ou chez soi) pour 50 % des personnes interrogées.
Et les abeilles ont leur place en ville pour 81 % des personnes interrogées et sont accueillies dans les jardins particuliers pour 39 % d’entre elles, voire dans le lieu d’habitation pour 11 %. La moitié des personnes interrogées les accepte donc dans un espace domestique. Les papillons sont, eux, des animaux plébiscités en ville (91 %) et appréciés jusque dans les espaces domestiques (71 %), y compris dans les habitations pour 20 % des personnes interrogées. Il conviendrait tout de même d’affiner la notion de « chez soi », dans une enquête ultérieure, car il est probable que ces personnes ont surtout pensé à leur balcon ou leur véranda plutôt qu’à leur cuisine.
Pour les végétaux, leur présence en ville recueille un assentiment presque total, encore plus fort chez les interrogés vivant en ville (98 %). Seuls 6 % des répondants la maintiennent à la campagne. La présence à proximité (le jardin, la cour ou chez soi) du végétal est très largement majoritaire chez près des deux tiers des personnes interrogées. L’herbe serait même accueillie par 24 % des personnes interviewées chez elles. Cette répartition est encore accentuée pour les fleurs. 80 % les souhaitent jusque dans leur espace domestique. Parmi elles, 45 % les accueillent volontiers dans leur habitation et seuls 3% les maintiennent à distance à la campagne.
La différence entre animaux et végétaux est sans doute liée à la mobilité des animaux, probablement considérés comme des entités moins contrôlables que les végétaux. Au sein des animaux, comme des végétaux, leur accueil en ville et à proximité des espaces de vie des répondants dépend encore de leurs représentations et des caractères réels ou supposés (esthétique, dangerosité, utilité, nuisance…) qui leur sont attribués.
Ainsi toutes les espèces qui constituent de fait des composantes de la biodiversité ne sont-elles pas accueillies à proximité des espaces de vie sur un pied d’égalité. Les végétaux, au premier rang desquels les fleurs, sont plébiscités en ville et à une faible distance des habitants. L’animal le plus petit, peut-être en association avec une image de fragilité, est préféré au plus gros (le moineau versus le pigeon). L’animal de loin le plus gros parmi ceux qui font l’objet d’une appréciation, le renard, toujours visé par des préjugés tenaces, est rejeté de la ville pour de bon. Il semble que les plaidoyers en faveur de cet animal ne portent pas leurs fruits [19]. Celui qui est perçu comme le plus utile (l’abeille versus la guêpe) ou le plus beau (le papillon versus la fourmi) trouve également meilleure grâce aux yeux des personnes interrogées.
7. AVIS SUR LE RENFORCEMENT DE LA BIODIVERSITÉ EN VILLE
Cette rubrique concerne le renforcement de la biodiversité en ville. Deux des trois questions choisies visent à déterminer quel est le degré d’autonomie laissé au développement de la biodiversité.
Malgré l’intérêt certain (88 % des personnes interrogées) que suscite la biodiversité en ville, l’importance de contenir les espèces accueillies est soulignée par 47 % d’entre elles. Moins de la moitié (41 %) accepterait qu’elle puisse se développer librement.
Il semble donc qu’un sentiment persiste quand la biodiversité en ville est évoquée :
celui de la crainte de perdre le contrôle sur le développement des espèces qui nous entourent.
8. LES PROBLÈMES LIÉS À LA BIODIVERSITÉ EN VILLE
Quant à la dernière rubrique, elle possède deux temps. Dans un premier temps, il s'agit d'une question fermée et simple adressée à la personne interrogée : « Avez-vous déjà rencontré un problème avec la biodiversité en ville ? » Dans un second temps, une question ouverte, portant sur le type de problème rencontré, est posée. Il est ainsi possible d'établir une liste de ce qui est vu comme une nuisance liée à la biodiversité.
Lorsque des problèmes liés à la biodiversité sont évoqués (par 10 % des personnes interrogées), ils concernent pour 36 % d’entre eux des espèces particulières. Ce sont ces espèces qui sont incriminées et peut-être pas la biodiversité dans son ensemble. En particulier, les oiseaux (14 % des réponses données) semblent être la catégorie animale la plus gênante.
Ce résultat invite à considérer que les problèmes sont plus souvent liés à certaines espèces particulières que par une diversité biologique stricto sensu. Il nous amène à penser l’acceptation de la biodiversité en ville sous l’angle des équilibres fonctionnels entre espèces dont la prolifération pourrait être régulée naturellement [8].
9. LES ENSEIGNEMENTS À TIRER DE L'ENQUÊTE
Quels sont les enseignements à tirer de cette enquête ? Le premier concerne l’effacement, pour ne pas dire la disparition, de l’opposition entre la nature et la ville. Cette nouvelle indique que la population, de fait de plus en plus urbaine, trop urbaine, ne se définit plus contre la nature. Au contraire, la demande de nature en ville, confirmée par d’autres enquêtes [13] [20], se confirme.
Cependant, et c’est là l’originalité de cette étude, une nouvelle hiérarchie des bénéfices attendus de la présence en ville de la nature se fait jour : à son sommet, ce sont des considérations liées à l’amélioration possible de l’état de santé qui sont privilégiées. Sans être oubliées, la place de l’esthétique et celle de la sociabilité attachée à la présence d’espaces naturels en ville sont jugées moins importantes.
L’accueil plus généreux de la diversité biologique s’étend même à des espaces urbains semi-publics, voire privés. En ce sens, ce sondage contribue fortement à libérer les aménageurs d’éventuelles réticences liées à une nature qui serait jugée trop présente en ville. Ils peuvent sereinement élargir leur offre d’espaces naturels à destination des populations. D’ailleurs, la végétalisation des façades est plébiscitée.
Pourtant cette extension des possibles doit encore s’accompagner d’actions pédagogiques afin de rendre chacun conscient de ses responsabilités en matière de gestion de l’écosystème urbain. Plus l’importance des différentes composantes de la biodiversité – de l’espèce emblématique au micro-organisme – sera connue et comprise, plus la qualité de ce système écologique lié à la ville (et l’insertion de la ville dans un fonctionnement écologique régional) pourra s’améliorer, et avec elle le nombre de bénéfices potentiels pour les populations. Les concepteurs et aménageurs de l’espace devrait aussi s’impliquer dans cette sensibilisation à une nouvelle et plus forte cohabitation Homme-Nature !
10. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
[1]
Barbault, R., Des Baleines, des bactéries et des hommes, Paris, Odile Jacob, 1994.
[2]
Bourdeau-Lepage, L. (éd.), Regards sur la ville, Paris, Economica, coll. Anthropos, 2012.
[3]
Bourdeau-Lepage, L. (éd.), Nature en ville – Désirs et controverses, Lyon, éditions La Librairie des territoires, 2017.
[4]
Clergeau, Ph., Une écologie du paysage urbain, Rennes, éditions Apogée, 2007.
[5]
Clergeau, Ph., « Un projet urbain autour de la biodiversité », Les Cahiers du développement urbain durable, n° 21, 2018, p. 129-139.
[6]
Clergeau, Ph. et N. Machon, Où se cache la biodiversité en ville, Paris, éditions Quæ, 2014.
[7]
Cormier, L., F. Joliet et N. Carcaud, « La biodiversité est-elle un enjeu pour les habitants ? »,
Développement durable et territoires, vol. 3, n° 2, juillet 2012. [doi : 10.4000 developpementdurable.9319]
[8]
Coulombel, A. (éd.), « Dossier – Auxiliaires », Alter Agri, n° 103, septembre-octobre 2010, p. 12-21
[9]
Court, M., « Alerte sur la disparition des espèces », Le Figaro, 27-28 avril 2019, p. 11.
[10]
Dorst, J., Avant que nature meure, Paris, Delachaux & Niestlé, 1965 (1re édition).
[11]
IPBES, « Le dangereux déclin de la nature : Un taux d’extinction des espèces « sans précédent » et qui s’accélère » Communiqué de presse [en ligne], IPBES, 6 mai 2019, url : https://www.ipbes.net/news/Media-Release-Global-Assessment-Fr, (consulté le 12 mai 2019).
[12].
Jacobs, S., N. Dendoncker et H. Keune, Ecosystem Services, Global Issues, Local Practices, Amsterdam, Elsevier, 2014.
[13]
Jaeger, A., La nature en ville : comment accélérer la dynamique ? - Les Avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE)(n° 21), Paris, Les éditions des Journaux officiels, juillet 2018, , p. 14, note 3.
[14]
Lévy J.-P. et I. Hajek, « La nature urbaine, une utopie
paradoxale », Futuribles, 2016, p. 61-72.
[15]
Mauz, I., « Les conceptions de la juste place des animaux dans les Alpes françaises », Espaces et sociétés, 2002, n°110-111, p. 129-146.
[16]
Meadows, D., et al., The Limits to Growth - A Report for the Club of Rome’s Project on the Predicament of Mankind, New York, Potomac Associates Book, 1972.
[17]
Perret, B., « De la croissance marchande au développement durable »,
Esprit, n° 441, janvier-février 2018, p. 88-98.
[18]
Tillon, T., Et si on écoutait la nature, Paris, Payot & Rivages, 2018.
[19]
Torgemen, É., « Biodiversité : plaidoyer pour le renard »,
Le Parisien, 8 novembre 2017.
[20]
Enquête UNEP-IFOP, « Ville en vert, ville en vie : un nouveau modèle de société », 2016,
http://www.lesentreprisesdupaysage.fr/decouvrir-l-unep/publications/les-enqu%C3%AAtes-unep.